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Libération

Le fichier douteux finit en non-lieu

L'affaire du CD-Rom pédophile s'arrête pour la justice après trois ans d'enquête et de scandale. Les photos sont anciennes.
par Armelle THORAVAL
publié le 4 avril 2003 à 22h35

Le mélange des ingrédients qui suivent peut être dévastateur : des mères séparées ou en conflit avec le père de leur enfant ; des associations prêtes à s'emparer de leur cause, pour mieux dénoncer «l'innocence offensée», et à étayer un dossier de pédophilie contre les géniteurs en question ; une justice souvent embarrassée, et qui ne sait pas faire oeuvre de pédagogie ni, surtout, de coordination.

Ce mélange a débouché en 2000 sur un énorme scandale, se résumant ainsi : un fichier de 470 photos d'enfants abusés, violés, torturés avait été sciemment ignoré par les autorités judiciaires et policières françaises. C'était la thèse notamment de l'Humanité, qui publiait lesdites photos (uniquement les visages) dans une édition de février 2000. Ce fichier de Gerrit Ulrich, du nom de l'informaticien néerlandais qui avait accumulé les clichés avant d'en faire une sorte de banque de données sordide et accessible moyennant finances, est devenu à l'époque le symbole de l'omerta sur la question de la pédophilie. Le parquet général de Paris était officiellement saisi en avril 2000 par les journalistes de l'Humanité, qui déposaient leur preuve, c'est-à-dire ces photographies et des carnets, pour mieux dénoncer l'aveuglement de la magistrature sur l'existence de réseaux internationaux de pédophiles. Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, était sollicitée par les associations de protection de l'enfance. Bref, grand ramdam : une information judiciaire était ouverte et confiée à la juge Danielle Ringot en avril 2000.

Enjeu redoutable. Trois ans après cette flambée médiatique et associative, la juge d'instruction a rendu mercredi une ordonnance de non-lieu, conforme aux réquisitions du procureur de la République de Paris. Les policiers saisis ­ des enquêteurs de la brigade de protection des mineurs de Paris (BPM) ­ ont procédé à un travail de fourmi. L'enjeu était redoutable : des témoignages écrits avaient été remis à la justice, selon lesquels les visages d'enfants âgés de 5, 6 ou 7 ans (en 2000), objets, selon leurs mères, de viols ou d'attouchements par leurs pères, avaient été reconnus. Plusieurs de ces cas étant à l'instruction et sur le point de se solder par un non-lieu, le fichier «Ulrich» venait jeter un doute sévère sur la qualité des enquêtes menées par les juges.

Au printemps 2000, les policiers ont d'abord pris contact avec leurs collègues néerlandais afin de vérifier les origines de ce fichier ­ disponible sous format «papier» et sur un CD-Rom. Une origine particulière : en 1997, Gerrit Ulrich est assassiné. Alerté, au terme d'un concours de circonstances alambiqué, Marcel Vervloessen, le responsable d'une association belge très en pointe sur les disparitions d'enfants et les maltraitances baptisée Morkhoven, aurait alors cambriolé l'appartement de Gerrit Ulrich, récupéré les documents informatiques avant de les copier sur un cd-Rom. Puis en juin 1998, il aurait remis ces photographies aux autorités belges, au Comité international pour la dignité de l'enfant (Cide), en Suisse ainsi qu'à une autre association. En Belgique, les investigations de la BPM permettent aux policiers d'apprendre que Marcel Vervloessen est lui-même «défavorablement connu» pour des faits de pédophilie par la justice belge. De plus, l'intéressé se révèle peu capable de donner des pistes utilisables pour prouver l'existence d'un réseau international organisé.

L'enquête part tous azimuts, en Allemagne, en Italie. Elle devient fastidieuse : les policiers passent au crible chacune des photographies, pour en retrouver l'origine et pouvoir la dater historiquement. Ainsi Chantal L. affirmait avoir reconnu son fils «Olivier» (1) dans ce fichier. Vérification faite, ces photos circulaient sur le Net néerlandais depuis 1998 et faisaient l'objet d'une procédure judiciaire aux Pays-Bas. Des différences de taille démontraient qu'il ne pouvait s'agir d'Olivier. Une autre mère, l'une des premières à s'être constituée partie civile dans l'instruction conduite par Danielle Ringot, avait également cru reconnaître son fils : en fait, il s'agissait de la photo d'un jeune Néerlandais, Bjorn Nijkamp, dont les violeurs avaient été condamnés. Au fil de l'enquête, les policiers voyaient se confirmer ce qu'ils avaient souligné immédiatement : le cd-Rom comme les autres cd-Rom qui leur seront remis ultérieurement sont essentiellement une compilation de clichés souvent anciens, déjà répertoriés par de nombreux services de police. Exemple, «le cliché 16 p. 36 était retrouvé dans la revue Billy and Oncle Joe de 1977 à Copenhague», le «cliché 326 p. 33 était retrouvé dans la revue Lover Boys n° 1, imprimée en janvier 1978 au Danemark», note l'ordonnance. Les policiers retrouvent la trace d'autres images, dans des dossiers déjà en cours d'instruction à Dinan ou aux Pays-Bas.

Reconnaissances. A l'époque, la juge d'instruction avait demandé à l'ensemble des gendarmeries et des services de police français de mettre à disposition de tout un chacun ces photographies pour qu'ils puissent éventuellement y trouver la photo d'un enfant susceptible d'avoir subi un viol. A Lille, Reims, Toulouse, Orléans, des familles croyaient reconnaître un petit-fils, une fille. Des victimes de viols avérés, jugés ou en voie de l'être, pensaient se retrouver dans certains clichés. L'ensemble de ces reconnaissances s'est soldé par une impasse. Mais elles n'ont pas permis ­ à l'exception d'un coup de flair des policiers de la BPM du côté d'Annecy ­ de détecter un fait nouveau. A plusieurs reprises, des petites filles, devenues de jeunes adultes entretemps, étaient identifiées par des proches. Or la consultation des photos «en pied» faisait apparaître de jeunes garçons. Fin d'une grande bataille, avec l'ordonnance rendue par la juge Ringot ? Rien de moins sûr. Dans certaines des luttes qui opposent père et mère, autour d'accusations de pédophilie, les faits sont de peu de poids.

(1) Le prénom a été modifié.

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