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Encyclique Pascendi Pie X-(le modernisme) PIE X, PAPE VÉNÉRABLES FRÈRES, Salut et Bénédiction Apostolique. 1. À la mission qui Nous a été confiée d'en haut de paître le troupeau du Seigneur, Jésus-…Plus
Encyclique Pascendi Pie X-(le modernisme)

PIE X, PAPE

VÉNÉRABLES FRÈRES, Salut et Bénédiction Apostolique.

1. À la mission qui Nous a été confiée d'en haut de paître le troupeau du Seigneur, Jésus-Christ a assigné comme premier devoir de garder avec un soin jaloux le dépôt traditionnel de la foi, à l'encontre des profanes nouveautés de langage comme des contradictions de la fausse science. Nul âge, sans doute, où une telle vigilance ne fût nécessaire au peuple chrétien : car il n'a jamais manqué, suscités par l'ennemi du genre humain, d'hommes au langage pervers (1), diseurs de nouveautés et séducteurs (2), sujets de l'erreur et entraînant à l'erreur (3). Mais, il faut bien le reconnaître, le nombre s'est accru étrangement, en ces derniers temps, des ennemis de la Croix de Jésus-Christ qui, avec un art tout nouveau et souverainement perfide, s'efforcent d'annuler les vitales énergies de l'Église, et même, s'ils

(1) Act. XX, 30.

(2) Tit. I, 10.

(3) II Tim. III, 13.

le pouvaient, de renverser de fond en comble le règne de Jésus-Christ. Nous taire n'est plus de mise, si Nous voulons ne point paraître infidèle au plus sacré de Nos devoirs, et que la bonté dont Nous avons usé jusqu'ici, dans un espoir d'amendement, ne soit taxée d'oubli de Notre charge.

2. Ce qui exige surtout que Nous parlions sans délai, c'est que, les artisans d'erreurs, il n'y a pas à les chercher aujourd'hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent et c'est un sujet d'appréhension et d'angoisse très vives, dans le sein même et au coeur de l'Église, ennemis d'autant plus redoutables qu'ils le sont moins ouvertement. Nous parlons, Vénérables Frères, d'un grand nombre de catholiques laïques, et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres, qui, sous couleur d'amour de l'Église, absolument courts de philosophie et de théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu'aux moelles d'un venin d'erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l'Église ; qui, en phalanges serrées, donnent audacieusement l'assaut à tout ce qu'il y a de plus sacré dans l'oeuvre de Jésus-Christ, sans respecter sa propre personne, qu'ils abaissent, par une témérité sacrilège, jusqu'à la simple et pure humanité.

3. Ces hommes-là peuvent s'étonner que Nous les rangions parmi les ennemis de l'Église. Nul ne s'en étonnera avec quelque fondement qui, mettant leurs intentions à part, dont le jugement est réservé à Dieu, voudra bien examiner leurs doctrines, et, conséquemment à celles-ci, leur manière de parler et d'agir.

Ennemis de l'Église, certes ils le sont, et à dire qu'elle n'en a pas de pires on ne s'écarte pas du vrai. Ce n'est pas du dehors, en effet, on l'a déjà noté, c'est du dedans qu'ils trament sa ruine ; le danger est aujourd'hui presque aux entrailles mêmes et aux veines de l'Église ; leurs coups sont d'autant plus sûrs qu'ils savent mieux où la frapper. Ajoutez que ce n'est point aux rameaux ou aux rejetons qu'ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c'est-à-dire à la foi et à ses fibres les plus profondes. Puis, cette racine d'immortelle vie une fois tranchée, ils se donnent la tâche de faire circuler le virus par tout l'arbre : nulle partie de la foi catholique qui reste à l'abri de leur main, nulle qu'ils ne fassent tout pour corrompre. Et tandis qu'ils poursuivent par mille chemins leur dessein néfaste, rien de si insidieux, de si perfide que leur tactique : amalgamant en eux le rationaliste et le catholique, ils le font avec un tel raffinement d'habileté qu'ils abusent facilement les esprits mal avertis. D'ailleurs, consommés en témérité, il n'est sorte de conséquences qui les fasse reculer, ou plutôt qu'ils ne soutiennent hautement et opiniâtrement.

Avec cela, et chose très propre à donner le change, une vie toute d'activité, une assiduité et une ardeur singulières à tous les genres d'études, des moeurs recommandables d'ordinaire pour leur sévérité. Enfin, et ceci parait ôter tout espoir de remède, leurs doctrines leur ont tellement perverti l'âme qu'ils en sont devenus contempteurs de toute autorité, impatients de tout frein : prenant assiette sur une conscience faussée, ils font tout pour qu'on attribue au pur zèle de la vérité ce qui est oeuvre uniquement d'opiniâtreté et d'orgueil. - Certes, Nous avions espéré qu'ils se raviseraient quelque jour : et, pour cela, Nous avions usé avec eux d'abord de douceur, comme avec des fils, puis de sévérité : enfin, et bien à contrecoeur, de réprimandes publiques. Vous n'ignorez pas, Vénérables Frères, la stérilité de Nos efforts ; ils courbent un moment la tête, pour la relever aussitôt plus orgueilleuse. Ah ! s'il n'était question que d'eux, Nous pourrions peut-être dissimuler ; mais c'est la religion catholique, sa sécurité qui sont en jeu. Trêve donc au silence, qui désormais serait un crime ! Il est temps de lever le masque à ces hommes-là et de les montrer à l'Église universelle tels qu'ils sont.

4. Et comme une tactique des modernistes (ainsi les appelle-t-on communément et avec beaucoup de raison), tactique en vérité fort insidieuse, est de ne jamais exposer leurs doctrines méthodiquement et dans leur ensemble, mais de les fragmenter en quelque sorte et de les éparpiller çà et là, ce qui prête à les faire juger ondoyants et indécis, quand leurs idées, au contraire, sont parfaitement arrêtées et consistantes, il importe ici et avant tout de présenter ces mêmes doctrines sous une seule vue, et de montrer le lien logique qui les rattache entre elles. Nous Nous réservons d'indiquer ensuite les causes des erreurs et de prescrire les remèdes propres à retrancher le mal.

5. Et pour procéder avec clarté dans une matière en vérité fort complexe, il faut noter tout d'abord que les modernistes assemblent et mélangent pour ainsi dire en eux plusieurs personnages : c'est à savoir, le philosophe, le croyant, le théologien, l'historien, le critique, l'apologiste, le réformateur : personnages qu'il importe de bien démêler si l'on veut connaître à fond leur système et se rendre compte des principes comme des conséquences de leurs doctrines.

6. Et pour commencer par le philosophe, les modernistes posent comme base de leur philosophie religieuse la doctrine appelée communément agnosticisme. La raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu'elles apparaissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir les limites ; elle n'est donc pas capable de s'élever jusqu'à Dieu, non pas même pour en connaître, par le moyen des créatures, l'existence : telle est cette doctrine. D'où ils infèrent deux choses : que Dieu n'est point objet direct de science ; que Dieu n'est point un personnage historique.

Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure ? Il est aisé de le comprendre. Ils les suppriment purement et simplement et les renvoient à l'intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé. Rien ne les arrête, pas même les condamnations dont l'Église a frappé ces erreurs monstrueuses : car le Concile du Vatican a décrété ce qui suit : Si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème (4). Et encore : Si quelqu'un dit qu'il ne se peut faire, ou qu'il n'est pas expédient que l'homme soit instruit par révélation divine du culte à rendre à Dieu, qu'il soit anathème (5). Et enfin : Si quelqu'un dit que la révélation divine ne peut être rendue croyable par des signes extérieurs, et que ce n'est donc que par l'expérience individuelle ou par l'inspiration privée que les hommes sont mus à la foi, qu'il soit anathème (6).

Maintenant, de l'agnosticisme, qui n'est après tout qu'ignorance, comment les modernistes passent-ils à l'athéisme scientifique et historique, dont la négation fait au contraire tout le caractère ; de ce qu'ils ignorent si Dieu est intervenu dans l'histoire du genre humain, par quel artifice de raisonnement en viennent-ils à expliquer cette même histoire absolument en dehors de Dieu, qui est tenu pour n'y avoir point eu effectivement de part ? Le comprenne qui pourra. Toujours est-il qu'une chose, pour eux, parfaitement entendue et arrêtée, c'est que la science doit être athée, pareillement l'histoire ; nulle place dans le champ de l'une, comme de l'autre, sinon pour les phénomènes : Dieu et le divin en sont bannis.

Quelles conséquences découlent de cette doctrine absurde, au regard de la personne sacrée du Sauveur, des mystères de sa vie et de sa mort, de sa résurrection et de son ascension glorieuse, c'est ce que nous verrons bientôt.

7. L'agnosticisme n'est que le côté négatif dans la doctrine des modernistes ; le côté positif est constitué par ce qu'on appelle l'immanence vitale. Ils passent de l'un à l'autre en la manière que voici. Naturelle ou surnaturelle, la religion, comme tout autre fait, demande une explication. Or, la théologie naturelle une fois

(4) De Revel., can. I.

(5) Ibid., can. II.

(6) De Fide, can. III.

répudiée, tout accès à la révélation fermé par le rejet des motifs de crédibilité, qui plus est, toute révélation extérieure entièrement abolie, il est clair que, cette explication, on ne doit pas la chercher hors de l'homme.

C'est dans l'homme même qu'elle se trouve, et, comme la religion est une forme de vie, dans la vie même de l'homme.

Voilà l'immanence religieuse.

Or, tout phénomène vital - et, on l'a dit, telle est la religion - a pour premier stimulant une nécessité, un besoin ; pour première manifestation, ce mouvement du coeur appelé sentiment.

Il s'ensuit, puisque l'objet de la religion est Dieu, que la foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime engendré lui-même par le besoin du divin. Ce besoin, d'ailleurs, ne se trahissant que dans de certaines …